« J’ai marché pendant des heures dans la forêt et, enfin, je te vois. Tu es la fée Sabine. Sur le seuil de ta grotte, tu joues de la harpe. Comme c’est beau. Tes doigts délicats, agiles et fuselés, sculptent d’incroyables harmonies sur les cordes luminescentes de ton instrument de cristal. Je te fais un signe de la main. Mais tu ne me vois pas. Tu es plongée dans les brumes magiques de ta musique. Des cerfs, des sangliers, des faisans, assemblés autour de toi, comme les santons d’une crèche, t’écoutent religieusement, transportés d’émotion au plus profond de leurs âmes animales. Moi aussi, je suis ému. Soudain, tu t’arrêtes de jouer. Je m’avance… Mais tu entames un nouvel air. Je m’immobilise à côté d’une biche et d’un pélican en pleine extase. Comme eux, je me laisse emporter par la force merveilleuse de ta harpe. Combien de secondes, combien de minutes, combien d’heures s’écoulent ? Je ne sais pas. Il me semble qu’au dessus des arbres l’aube commence de poindre. J’ai un peu froid. Et tu joues toujours. Quelle fée infatigable tu fais. J’ai bricolé un panneau de 4 m sur 3 m sur lequel j’ai tracé à la peinture bleue (tu aimes le bleu, je crois) « Fée Sabine, j’aimerais vous parler juste cinq minutes ». Tes doigts continuent de gambader sur les cordes de ta harpe. J’ai mal aux bras à force de brandir mon panneau. Je dois être patient. Cette musique est si harmonieuse, enveloppante et légère. Certes, ce n’est pas le style de truc que j’écoute d’habitude. J’aime plutôt la country et le death core. Oh comme j’ai sommeil. Il est dix heures du matin. Les animaux sont partis… et tu joues toujours. Pourrais-tu faire une pause pour que nous puissions parler ? Je te rappelle que j’ai affronté la traversée nocturne de la forêt rien que pour venir te voir. Arrête de gratter ta harpe. C’est toujours les mêmes accords que tu fais. C’est moche, en fait. Plus personne ne t’écoute. Lâche ce truc ! Ah, zut. J’ai cassé ta harpe. Et ton image disparaît sous mes yeux. Me voici tout seul, comme un imbécile, devant une grotte vide. Mais je m’en tape. Tu étais vraiment énervante, comme fée. » ■